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Page:Dragomirov - Guerre et paix de Tolstoï au point de vue militaire.djvu/19

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relief au premier plan dans ses merveilleux tableaux. Il y a la même différence entre ses descriptions de batailles et leur exposé historique, qu’entre un paysage de maître et un plan topographique. Le premier donne moins d’objets et les présente d’un seul point de vue, mais sous une forme plus accessible à l’œil, plus parlante au cœur de l’homme. Le second donne tous les objets locaux et sous plusieurs faces ; il présente le terrain tout entier sur une étendue de plusieurs myriamètres ; mais tout cela en signes conventionnels dont l’apparence n’a rien de commun avec les objets qu’ils figurent. Voilà pourquoi tout y est sans mouvement, sans vie, même pour l’œil d’un adepte. C’est ce qui se produit aussi avec les exposés historiques de batailles ; on y trouve bien les mouvements des divisions, mais rarement ceux des régiments, presque jamais ceux des bataillons : « On s’est avancé malgré la violence du feu, on a pénétré sur la position, on a culbuté l’ennemi ou on a été culbuté ; les réserves ont soutenu, etc. » Quant à la physionomie morale et à la personnalité des chefs dirigeants, quant à leur lutte intime avec eux-mêmes et tout ce qui les entoure, avant de prendre chacune de leurs décisions, tout cela disparaît. Et d’un fait qui est la résultante de mille existences humaines, il ne reste que quelque chose dans le genre d’une pièce de monnaie très usée, où l’on distingue bien encore le contour d’une effigie, mais sans savoir de qui. Le meilleur numismate reste à quia. Il y a des exceptions sans doute, mais qu’elles sont rares ! Et, en tout cas, il s’en faut qu’elles fassent revivre devant vous les événements, comme le ferait un tableau représentant ce qu’à un moment donné, un homme observateur peut apercevoir de son point de vue.

On dira peut-être que tous ces Touchine, Timokhine et autres, ne sont qu’une fiction née dans la tête de l’auteur et qu’ils n’ont point existé. Admettons ; mais dans les exposés historiques aussi, on est bien forcé de nous le concéder, il s’en faut de beaucoup que tout soit vrai. Et comment ne pas reconnaître que tous ces personnages imaginés par l’auteur font comprendre le côté intime du combat mieux que la plupart des histoires des guerres les plus volumineuses, dans lesquelles les noms propres défilent sans les personnalités qu’ils désignent, et où aux noms de Napoléon, Davout, Ney, on peut substituer tout ce qu’on voudra, un chiffre, une lettre, sans rien changer à la description. Ces types « ima-