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IV.


L’auteur a divisé en chapitres ses considérations historiques, et c’est ce qui permet de voir du premier coup d’œil qu’elles sont toutes prises du même point de vue. Au contraire, ses considérations militaires sont parsemées et comme insinuées au cours du récit sous l’égide protectrice de faits présentés avec beaucoup d’art, mais tendancieusement. Aussi n’est-on pas frappé immédiatement de l’unilatéralité de ses vues sur la guerre, et même un lecteur, qui n’est pas prévenu et se laisse éblouir par le talent de l’artiste, peut être séduit au point de trouver toute naturelle la déduction que Tolstoï lui glisse après un tableau magistral.

Nous avons déjà vu un échantillon de cette manière dans les raisonnements du prince André qui sont intercalés à la suite du tableau du conseil de guerre de Drissa.

Après avoir préparé le lecteur par la description de cette gabegie, l’auteur lui sort le prince André avec son monologue contre la théorie de la guerre et contre la possibilité du génie de la guerre, bien qu’il n’y ait rien de commun entre ces sujets et la confusion d’un conseil de guerre sans directeur.

L’auteur reste fidèle à cette manière chaque fois qu’il a l’intention d’émettre sur la guerre quelque opinion d’une valeur contestable.

Il n’est pas difficile du reste, dans presque tous les cas semblables, de découvrir cette valeur contestable des opinions de Tolstoï, parce qu’il fournit lui-même à un lecteur attentif des armes pour le réfuter, chose presque inévitable dans toute production littéraire où l’auteur vise la justification de ses vues théoriques et non la vérité artistique de la reproduction des faits. Prenons, par exemple, la charge de Rostoff. Au début, « Rostoff avec l’œil exercé d’un chasseur aperçoit le premier les dragons bleus français qui poursuivent nos lanciers. » Ils se rapprochent de plus en plus ; Rostoff « a le flair qu’en chargeant à ce moment avec les hussards les dragons français, ceux-ci seront culbutés ; mais que charger pour chaîner, c’est tout de suite, à la minute même qu’il faut le faire, sinon ce sera trop tard. » Rostoff