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un symbole qui, il le sait bien, est loin de n’avoir qu’une importance de forme pour les Russes, Il aurait bien fait de se souvenir enfin que sur ces lambeaux d’étoffe sont peintes des images saintes[1], ce qui donne à nos drapeaux le caractère réel d’une relique à la fois guerrière et religieuse, comme autrefois chez le peuple romain, celui de tous les peuples qui a le mieux compris le sens de ces emblèmes.

Mais l’auteur de Guerre et Paix sait tout cela aussi bien, sinon mieux que nous, et, s’il a laissé passer cette phrase, absolument incompatible avec cette vérité qu’il a lui-même proclamée — que la victoire est avant tout un fait moral et non un fait matériel, — nous ne l’attribuons qu’à un défaut d’attention, et nous sommes convaincus qu’il la fera disparaître dans la prochaine édition de ses œuvres[2]. Nous en sommes convaincu parce qu’elle est logiquement en contradiction avec l’importance qu’il reconnaît lui-même au moral des troupes dans le succès sur le champ de bataille, et parce qu’elle a douloureusement affecté ceux de ses lecteurs qui sont militaires non pas seulement par leur uniforme.


V.


Dans les derniers tomes de son œuvre, Tolstoï reste fidèle à lui-même. C’est toujours la même vérité de représentation des phénomènes, la même finesse d’analyse psychique, toutes les fois qu’il s’agit de la vie individuelle. Mais c’est aussi toujours la même présomption de n’envisager les choses que d’un seul point de vue, la même tendance à « l’unilatéralité » outrecuidante, la même habitude de ne point « achever le tour » des idées, dès qu’il entreprend de discuter les faits qu’il a décrits, de juger les personnalités au-dessus de l’ordinaire, les représentants, les conducteurs des masses. La seule différence, c’est qu’il y a moins de tableaux et plus de considérations que dans les premiers volumes, et encore, si l’on veut, que ces considérations, notamment au VIe tome, flottent dans un brouillard dû à l’emploi de grands mots et de phrases alambiquées, derrière lesquels il est

  1. Cette coutume, abandonnée par Pierre le Grand, a été reprise sous Alexandre III.
  2. Il l’a maintenue. 1895.