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facile pourtant de découvrir les mêmes idées « unilatérales » que dans le tome IV.

La manière dont l’auteur argumente est toujours la même : il ne démontre point les assertions sur lesquelles il échafaude ses raisonnements, mais il cherche à les enfoncer dans la tête du lecteur comme un clou, en répétant indéfiniment la même chose sur tous les tons. Tantôt il se base sur les répugnances de l’esprit humain à admettre ce qui ne lui plaît pas à lui-même. Tantôt il invoque des faits qui auraient pu arriver, mais qui, en réalité, ne sont pas arrivés et ne pouvaient arriver. Tantôt enfin il a recours à des comparaisons avec un bateau à vapeur, un troupeau, etc., qui, en général, ne correspondent pas du tout au sujet.

Au commencement du tome V, Tolstoï pose en fait que la continuité absolue du mouvement est incompréhensible pour l’esprit humain, et que les lois du mouvement ne deviennent concevables que lorsque l’homme envisage des unités de mouvement arbitrairement choisies. Cette nécessité pour l’homme de décomposer non seulement le mouvement, mais tous les objets de ses investigations, en parties constituantes, engendre, de l’avis de l’auteur, la plupart des erreurs humaines. Il ferait bien de se l’appliquer à lui-même.

Pour éclaircir sa pensée, Tolstoï a recours à une comparaison qui ne la rend en aucune façon plus claire. Nous nous y arrêtons avec intention, parce que le procédé de comparaison est celui qu’il préfère pour faire triompher sa manière de voir. Ce procédé a ses avantages assurément pour faire saisir une abstraction ; nuis il est plus commode encore comme trompe-l’œil.

Dans le cas présent, l’auteur prend comme terme de comparaison la fameuse « colle » des anciens : Achille peut-il atteindre la tortue ? Au fond, l’explication en est très simple, sans différentielles ni intégrales. L’imbroglio tient à ce que le mouvement a été mal décomposé pour le but cherché, mais pas du tout à ce qu’il a été décomposé. Car, pour comparer deux mouvements, il faut prendre l’espace parcouru dans chacun d’eux pendant un seul et même intervalle de temps, tandis que dans cette « colle » on prend des intervalles de temps et d’espace différents, qui varient en progression géométrique décroissante. Dans ces conditions, non seulement Achille ne peut jamais atteindre la tortue, malgré sa faible vitesse, mais il n’atteindrait même pas un objet