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personne ; une autre fois, prompts à tourner le dos et à jouer des jambes, si le premier drôle venu s’avise de crier : « Nous sommes tournés ».

Ici, comme en tout, il y a tout à gagner à être dans le vrai. Il ne faut plus que la théorie puisse se contenter de cette phrase, qui excuse tout : « c’est un hasard », alors que son devoir est précisément de chercher la meilleure façon de conduire les troupes et de pourvoir à leur organisation, afin de les soustraire le plus possible à l’influence perturbatrice du « hasard ».

Ce qui nous fait espérer que le moment de l’étude sérieuse des phénomènes de la guerre est arrivé, c’est l’apparition dans le domaine de la littérature militaire de deux ouvrages où l’on essaie de raconter les choses telles qu’elles ont lieu et non telles qu’elles devraient avoir lieu. Ces deux livres sont : Guerre et Paix, de Tolstoï, et L’Armée française en 1867, par Trochu. La parenté qui existe entre eux est plus grande qu’on ne peut le supposer d’après les titres. Elle résulte de ce que tous deux visent avant tout le côté intime des faits de guerre. Mais le dernier est, pour ainsi dire, le correctif et le complément du premier. Ce que le romancier, dans son rôle de philosophe d’emprunt, n’achève pas de dire, le militaire le dit jusqu’au bout. Il faut dire que ce militaire n’est pas le premier venu et que, non content d’avoir fait la guerre, il l’a méditée, après s’être préparé à cette méditation, non seulement par ses impressions personnelles, mais encore par le plus sérieux travail théorique.

C’est du roman de Tolstoï que nous nous occuperons en le parcourant sous le double point de vue auquel il est intéressant pour un militaire : d’une part ses descriptions des scènes de guerre et de la vie des troupes ; d’autre part, ses tentatives de tirer de là quelques déductions pour la théorie de la guerre. Les descriptions, hâtons-nous de le dire, sont inimitables, et nous sommes persuadés qu’elles formeraient un complément des plus utiles à n’importe quel cours théorique sur l’art de la guerre. Quant aux déductions, elles sont au-dessous de la critique la plus indulgente, parce que l’auteur a commis la grande faute de tout juger en se plaçant à un seul point de vue ; mais elles ne manquent pas d’intérêt, si l’on veut suivre la progression du développement des idées de l’auteur à propos de la guerre.

Au premier plan, l’auteur nous présente un magnifique ta-