Page:Dragomirov - Guerre et paix de Tolstoï au point de vue militaire.djvu/9

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bleau, emprunté à la vie militaire ordinaire, mais qui vaut bien dix toiles du meilleur peintre de batailles. Il n’y a pas un militaire qui, à sa lecture, ne se dise involontairement : « Tiens ! c’est pris dans notre régiment. »

Un régiment d’infanterie vient d’arriver à Braunau, après une étape de trente et quelques kilomètres, Le commandant en chef le fait prévenir qu’il le passera en revue le lendemain, tel qu’il est en route. Les officiers supérieurs sont en proie à la plus pénible indécision, à propos de la tenue dans laquelle le régiment devra paraître. L’hésitation est longue. Enfin, après de sérieux conciliabules, on se décide pour la tenue de parade ; car n’est-ce pas un principe « qu’il vaut mieux saluer plutôt trop que pas assez. »

Les soldats passent la nuit à se nettoyer et à astiquer, — après une étape de plus de trente kilomètres. Le lendemain, le régiment est prêt et si beau « qu’on ne le renverrait pas du Champ-de-Mars de Saint-Pétersbourg. » Tout flambant neuf, tiré à quatre épingles, le chef du régiment passe devant le front, avec l’air rayonnant d’un homme qui accomplit l’un des actes les plus solennels de son existence… Tout à coup arrive au galop un aide de camp ; il certifie que l’intention du commandant en chef est de voir le régiment comme il est en route, exactement comme pendant les marches, c’est-à-dire avec les capotes, etc…, sans aucun préparatif spécial… Changement de tableau ! Le premier mouvement du commandant du régiment est de trouver le coupable qui a fait adopter la tenue de parade. C’est Mikhallo Mitritch, un des chefs de bataillon. C’est cet infâme Mikhallo, parbleu, Je me le rappelle fichtre bien, qui a invoqué le premier le fameux principe emprunté à la sagesse des nations : « Mieux vaut saluer plutôt trop, etc… » « Je vous l’avais bien dit, mon cherrr, en tenue de route, par conséquent en capotes, etc… ». — Quant à se dire à lui-même qu’il était maître de ne pas suivre le conseil, le brave colonel n’en a pas même l’idée. Enfin, c’est décidé, on met les capotes.

Quand un subordonné craint d’être réprimandé » il éprouve un besoin insurmontable de réprimander lui-même ses inférieurs. Ici ça ne rate pas. Un soldat, ancien officier dégradé, est parti en campagne avec l’autorisation du même colonel de conserver une capote d’un drap plus fin et plus bleuâtre que l’ordonnance. Mais