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de rien n’était et de transporter dans leurs flancs non seulement l’humanité insouciante, mais le métaphysicien lui-même, si éloigné qu’ils soient de la perfection du tapis enchanté.

Ce n’est pas d’hier que Pascal a dit : L’homme n’est ni ange ni bête ; et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. Condamnés à vivre sur cette terre, ni plus haut, ni plus bas, à vivre au milieu d’hommes nos semblables, occupons-nous donc de ce qui se fait autour de nous et au milieu de nous, sans nous lancer à l’escalade de cimes inaccessibles.

Les conclusions auxquelles nous parviendrons, en restant à ce point de vue, ne seront pas d’une sublimité nuageuse, mais en revanche elles seront fertiles en conséquences. Les gens qui mettent leur plaisir à trouver des imperfections partout, prétendront sans doute qu’un savoir aussi relatif n’est pas un savoir. Grand bien leur fasse ! Mais l’expérience est là pour démontrer que cela ne les rapprochera pas d’un cheveu du savoir absolu. Ce n’est pas seulement pour l’histoire, mais dans toutes les sciences humaines, et cela depuis longtemps déjà, que l’on arrive à se convaincre que l’homme est incapable de connaître non seulement les forces primitives, mais même les forces dérivées, dans leur essence. Il ne peut s’en faire une idée que par les phénomènes qu’elles produisent, par leurs manifestations qui tombent sous ses sens. C’est donc de ces phénomènes, de ces manifestations, qu’il doit se préoccuper.

Quelle est la force qui meut les nations ? demande Tolstoï, et il donne à cette question, censément au nom des historiens, une réponse qu’il s’évertue à représenter ensuite comme peu satisfaisante :

« Cette force, nous ne la connaissons pas, auraient pu dire les historiens cités à comparaître devant le tribunal de l’auteur ; mais les observations faites sur la vie des peuples nous montrent qu’elle se manifeste dans l’organisme national par l’intermédiaire des gens qui jouent dans cet organisme le même rôle que le cerveau et les nerfs dans l’individu. Ces gens forment deux catégories : la première comprend les chefs d’État, les administrateurs, les dignitaires sacerdotaux, sous toutes leurs dénominations, ainsi que toute la hiérarchie de leurs subordonnés qui pénètre l’organisme national jusqu’à ses dernières ramifications ; à la seconde appartiennent les promoteurs des idées nouvelles et leurs