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LETTRES D’UN INNOCENT

bres de nos deux familles, tes chers parents, nos enfants, et reçois pour toi les meilleurs et les plus tendres baisers de ton dévoué mari

Alfred.
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Le 21 février 1895.
Ma chère Lucie,

Quand je te vois, le temps est si court, je suis si anxieux de voir l’heure s’écouler avec une rapidité que je ne connaissais plus, tant les autres heures que je passe me semblent horriblement longues, que j’oublie de te dire la moitié de ce que j’avais préparé dans mon imagination.

Je voulais te demander si le voyage ne te fatiguait pas, si la mer t’avait été clémente ? Je voulais te dire toute l’admiration que j’ai pour ton noble caractère, pour ton admirable dévouement ! Plus d’une femme aurait vu son cerveau sombrer sous les coups répétés d’un sort aussi cruel, aussi immérité.

Je voulais te parler longuement de nos enfants, de leur santé, de leur régime. Je voulais aussi te prier de remercier toutes nos familles de leur dévouement à la cause d’un innocent, te demander des nouvelles de leur santé à tous. Il faudrait une longue journée pour épuiser tous ces sujets et nos minutes sont comptées ! Enfin, il faut espérer que les jours heureux reviendront, car il est impossible, il est contraire à la raison humaine, qu’on n’arrive pas à mettre la main sur le véritable coupable.

Comme je te l’ai dit, je ferai mon possible pour dompter les battements de mon cœur ulcéré, pour supporter cet horrible et long martyre, afin de voir avec vous luire le jour heureux de la réhabilitation.