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LETTRES D’UN INNOCENT

Dans mon horrible détresse, je passe mon temps à me répéter mentalement le mot que tu m’as dit le jour de mon départ : votre certitude absolue d’arriver à la vérité. D’ailleurs, autrement, ce serait la mort pour moi et à bref délai, car sans mon honneur je ne vivrais pas. Je ne suis arrivé à surmonter tout que grâce à ma conscience et à l’espérance que vous m’avez donnée que la vérité se découvrirait. Cette espérance morte serait le signal de ma mort.

Dis-toi donc bien, ma chérie, qu’il faut aboutir, et le plus tôt possible à me faire rendre mon honneur ; je suis incapable de supporter encore longtemps cette atmosphère de mépris si légitime autour de moi. De vos efforts dépend mon honneur, c’est-à-dire ma vie, enfin l’honneur de nos pauvres enfants. Tu dois donc tout tenter, tout essayer, pour arriver à la vérité, que je vive ou que je meure, car ta mission est supérieure à moi-même.

Je t’embrasse comme je t’aime,

Alfred.
————
20 Mars 1895.
Ma chère Lucie,

Ma lettre sera courte car je ne veux pas t’arracher l’âme, mes souffrances sont d’ailleurs tiennes.

Je ne puis d’ailleurs que te confirmer la lettre que je t’ai écrite le 13 de ce mois. Plus vous hâterez ma réhabilitation et plus vous abrégerez mon martyre.

J’ai fait pour toi plus que l’amour le plus profond peut inspirer ; j’ai enduré le pire supplice qu’un homme de cœur puisse subir ; à toi de faire l’impos-