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LE CAPITAINE DREYFUS

sible pour me faire rendre mon honneur si tu veux que je vive.

Ma situation n’est pas encore définitive, je suis toujours encore enfermé.

Je ne te parlerai pas de ma vie matérielle, elle m’est indifférente. Les misères physiques ne sont rien, quelles qu’elles soient. Je ne veux qu’une chose dont je rêve nuit et jour, dont mon cerveau est hanté à tout instant, c’est qu’on me rende mon honneur qui n’a jamais failli.

On ne m’a pas remis jusqu’à présent les livres que j’ai apportés, on attend des ordres.

Envoie-moi toujours des revues par le prochain courrier.

Donc, ma chérie, si tu veux que je vive, fais-moi rendre mon honneur le plus tôt possible, car mon martyre ne saurait se supporter indéfiniment. J’aime mieux te dire la vérité, toute la vérité que de te bercer d’illusions trompeuses. Il faut savoir regarder la situation en face. Je n’ai accepté de vivre que parce que vous m’avez inculqué la conviction que l’innocence se fait toujours connaître. Cette innocence, il faut la faire relater, non seulement pour moi, mais pour les enfants, pour vous tous.

Embrasse ces chéris, tout le monde pour moi et mille baisers pour toi,

Alfred.

Comme les lettres seront très longues à me parvenir, envoie moi une dépêche quand tu auras une bonne nouvelle à m’annoncer. Ma vie reste suspendue à cette attente. Pense à tout ce que je souffre.

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