Page:Dreyfus - Lettres d un innocent (1898).djvu/116

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
117
LE CAPITAINE DREYFUS

Mais je te connais, je connais ta grande âme, j’ai confiance en toi.

Je n’ai toujours pas de lettres de toi ; quant à moi, c’est la cinquième que je t’écris.

Embrasse tout le monde de ma part.

Mille bons baisers pour toi, pour nos chers enfants. Parle-moi longuement d’eux.

Alfred.
————
Mercredi, 8 mai 1895.
Ma chère Lucie,

Quoique je ne doive remettre cette lettre que le 18, je la commence dès aujourd’hui, tant j’éprouve un besoin invincible de venir causer avec toi.

Il me semble, quand je t’écris, que les distances se rapprochent, que je vois devant moi ta figure aimée et qu’il y a quelque chose de toi auprès de moi. C’est une faiblesse, je le sais, car malgré moi, l’écho de mes souffrances vient parfois sous ma plume, et les tiennes sont assez grandes pour que je ne te parle pas encore des miennes. Mais je voudrais bien voir à ma place philosophes et psychologues, qui dissertent tranquillement au coin de leur feu, sur le calme, la sérénité que doit montrer un innocent !

Un silence profond règne autour de moi, interrompu seulement par le mugissement de la mer. Et ma pensée, franchissant la distance qui nous sépare, se reporte au milieu de vous, au milieu de tous ceux qui me sont chers et dont la pensée, certes, doit se diriger souvent aussi vers moi. Fréquemment je me demande, à telle heure, que fait ma chère Lucie, et