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LETTRES D’UN INNOCENT

je t’envoie par la pensée l’écho de mon immense affection. Je ferme alors les yeux, et il me semble voir se profiler ta figure, celles de mes chers enfants. Je n’ai toujours pas de lettres de toi, sauf celles du 16 et 17 février adressées encore à l’île de Ré. Voici donc trois mois que je suis sans nouvelles de toi, des enfants, de nos familles.

Je crois l’avoir déjà dit que je te conseillais de demander à déposer tes lettres au Ministère huit ou dix jours avant le départ des courriers ; peut-être ainsi les recevrais-je plus rapidement. Mais, ma bonne chérie, oublie toutes mes souffrances, surmonte les tiennes et pense à nos enfants. Dis-toi que tu as une mission sacrée à remplir, celle de me faire rendre mon honneur, l’honneur du nom que portent nos chers petits. D’ailleurs, je me rappelle ce que tu m’as dit avant mon départ, je sais, comme tu me le répètes dans ta lettre du 17 février, ce que valent les paroles dans ta bouche, j’ai une confiance absolue en toi.

Ne pleure donc plus, ma bonne chérie, je lutterai jusqu’à la dernière minute pour toi, pour nos chers enfants.

Les corps peuvent fléchir sous une telle somme de chagrins, mais les âmes doivent rester fortes et vaillantes pour réagir contre une situation que nous n’avons pas méritée. Quand l’honneur me sera rendu, alors seulement, ma bonne chérie, nous aurons le droit de nous retirer. Nous vivrons pour nous, loin des bruits du monde, nous nous réfugierons dans notre affection mutuelle, dans notre amour grandi par des événements aussi tragiques. Nous nous soutiendrons l’un l’autre pour panser les bles-