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LETTRES D’UN INNOCENT


Mon énergie s’emploie à étouffer les battements de mon cœur, à contenir mon impatience, d’apprendre enfin que mon innocence est reconnue partout et par tous. Si donc elle est toute passive, ton énergie au contraire doit être toute active et animée du souffle ardent qui alimente la mienne.

S’il ne s’agissait que de souffrir, ce ne serait rien. Mais il s’agit de l’honneur d’un nom, de la vie de nos enfants. Et je ne veux pas, tu m’entends bien, que nos enfants aient jamais à baisser la tête. Il faut que la lumière soit faite pleine et entière sur cette tragique histoire. Rien, par suite, ne doit ni te rebuter ni te lasser ; toutes les portes s’ouvrent, tous les cœurs battent devant une mère qui ne demande que la vérité, pour que ses enfants puissent vivre.

C’est presque de la tombe — ma situation y est comparable, avec la douleur en plus d’avoir un cœur — que je te dis ces paroles.

Remercie tes chers parents, nos frères et sœurs, ainsi que Lucie et Henri, de leurs bonnes et affectueuses lettres. Dis-leur tout le plaisir que j’ai à les lire et que, si je ne leur réponds pas directement, c’est que je ne saurais que me répéter toujours.

Embrasse bien tes chers parents pour moi, dis-leur toute mon affection. De longs et bons baisers aux enfants.

Quant à toi, ma chère et bonne Lucie, tes lettres sont ma lecture journalière. Continue à m’écrire longuement ; je vis ainsi mieux avec toi et avec mes chers enfants que par la pensée seule, qui, elle, ne vous quitte, pas un seul instant.

Je t’embrasse de toutes les forces de mon cœur.

Ton dévoué,

Alfred.