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LE CAPITAINE DREYFUS

effort, car je veux me voir encore entre mes enfants et toi, le jour où l’honneur nous sera rendu.

Mais c’est une véritable agonie qui se renouvelle chaque jour ; c’est un supplice aussi horrible qu’immérité.

Si je te dis tout cela, si je t’ai parfois laissé entrevoir combien ma vie était horrible, combien cette situation d’infamie, dont les effets sont de chaque jour, broie tout mon être, révolte mon cœur, ce n’est pas pour me plaindre, mais pour te dire encore que si j’ai vécu, si j’arrive à vivre, c’est que je veux mon honneur, le tien, celui de nos enfants.

Que ton âme, ton énergie soient donc à hauteur de circonstances aussi tragiques, car il faut que cela finisse.

C’est pourquoi je t’ai dit, dans ma lettre du 7 septembre, que si, quand tu recevras ces lettres, la situation n’était pas nettement éclaircie, il t’appartenait, à toi personnellement, de faire des démarches auprès des pouvoirs publics, pour qu’on fasse enfin la lumière sur cette tragique histoire.

Tu as le droit de te présenter partout la tête haute, car ce que tu viens réclamer, ce ne sont ni grâces ni faveurs, ni même convictions morales, si légitimes qu’elles puissent être, mais la recherche, la découverte des misérables qui ont commis le crime infâme et lâche. Le Gouvernement a tous les moyens pour cela.

Des lettres ne servent à rien, ma chère Lucie. C’est par toi-même, qu’il faut agir. Ce que tu as à dire prendra, en passant par ta bouche, une force, une puissance que le papier et l’écriture ne donnent point.