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LETTRES D’UN INNOCENT

Donc, ma chère Lucie, forte de ta conscience, de tes qualités d’épouse et de mère, fais des démarches sans te lasser, jusqu’à ce que justice nous soit rendue.

Et cette justice que tu dois demander énergiquement, résolument, avec toute ton âme, c’est qu’on fasse la lumière entière, complète, sur cette machination dont nous sommes les malheureuses et épouvantables victimes. D’ailleurs, tu sais ce que tu as à dire, et il faut le dire carrément, fièrement.

Vois-tu, ma chère Lucie, c’était mon opinion du premier jour. J’aurais, sans bruit aucun, sans faire intervenir personne, sinon mon introducteur, pris un enfant par chaque main, et j’aurais été demander justice partout, sans relâche, jusqu’à ce que les coupables eussent été démasqués. Le moyen est héroïque, mais il est le meilleur, car il part du cœur et s’adresse aux cœurs, au sentiment de justice inné en chacun de nous, quand il n’est pas guidé par ses passions. Il procède de la force que vous donne l’innocence, du devoir à remplir, et ne connait pas d’obstacles. Il est digne enfin d’une femme qui ne demande que la justice, pour son mari, pour ses enfants.

Il ne doit pas être dit que dans notre siècle un misérable aura impunément brisé la vie de deux familles.

Courage donc, ma chère Lucie, et agis résolument. Baisers à tous. Je t’embrasse de toutes mes forces, ainsi que nos chers et adorés enfants.

Ton dévoué,

Alfred.

Depuis ton envoi du mois de juin, je n’ai plus reçu ni livres ni revues. Je pensais que tu continue-