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LE CAPITAINE DREYFUS
Le 5 octobre 1895.
Ma chère Lucie,

Je t’ai déjà écrit hier, mais après avoir lu et relu toutes les lettres arrivées par ce courrier, il s’en élevait un tel cri de souffrance, un tel cri d’agonie, que tout mon être en a été profondément secoué.

Vous souffrez pour moi, je souffre pour vous.

Non, il n’est pas possible, il n’est pas permis qu’une famille toute entière subisse un martyre pareil.

À force d’attendre, nous serons tous par terre. Cela ne doit pas être, il y a nos enfants avant tout.

Je viens encore d’écrire directement à M. le Président de la République. Je ne puis agir que par la plume — c’est peu de chose — je ne puis que te soutenir de toute l’ardeur de mon âme. Il faut que, de ton côté, tu agisses énergiquement, résolument.

Quand on est innocent, quand on ne demande que la justice, l’éclaircissement de cet horrible mystère, on est fort et invincible.

Jette, s’il le faut, nos chers enfants aux pieds de M. le Président et demande justice pour eux, pour leur père.

Sois héroïque par tes actes, ma chère Lucie, c’est à toi que ce devoir incombe.

Encore une fois, ce n’est ni bruit, ni grincements de dents qu’il faut, mais une volonté indomptable que rien ne rebute.

Je te soutiens d’ici, à travers les distances, avec mon cœur, avec toutes les forces vives de mon être, avec mon âme de Français, d’honnête homme, de père qui veut son honneur, celui de ses enfants.

Je t’embrasse du plus profond de mon cœur.

Ton dévoué,

Alfred.
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