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LETTRES D’UN INNOCENT

quand mon cœur enfin défaille, je murmure au dedans de moi-même trois noms : le tien, ceux de nos chers enfants, et je me raidis encore contre ma douleur, et rien ne s’exhale de mes lèvres muettes.

Certes, je suis très affaibli, il n’en saurait être autrement. Mais tout s’efface en moi, souvenirs hallucinants, souffrances, atrocités de ma vie journalière, devant cette préoccupation si haute, si absolue : celle de notre honneur, le patrimoine de nos enfants. Je viens donc comme toujours te crier de toutes mes forces, avec toute mon âme, « courage et courage » pour marcher bravement à ton but : tout l’honneur de notre nom — et souhaiter pour tous deux que ce but soit enfin atteint. Les chères petites lettres des enfants me causent toujours une émotion extrême, je les arrose souvent de mes larmes, j’y puise aussi ma force. — On me dit dans toutes les lettres que tu élèves admirablement ces chers petits ; si je ne t’en ai jamais parlé, c’est que je le savais, car je te connais.

Te parler de mon affection, de celle qui nous unit tous, c’est inutile, n’est-ce pas ? Laisse-moi te dire encore que ma pensée ne te quitte pas un instant de jour et de nuit, que mon cœur est toujours auprès de toi, de nos enfants, de vous tous, pour vous soutenir et vous animer de mon indomptable volonté. Je t’embrasse de toutes mes forces, de tout mon cœur, ainsi que nos chers enfants, en attendant de recevoir vos bonnes lettres, seul rayon de bonheur qui vienne réchauffer mon âme meurtrie.

Ton dévoué,

Alfred.

Baisers à tes chers parents, à tous.

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