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LETTRES D’UN INNOCENT

farouche, j’ai même divagué, mais ma conscience veillait. Elle me disait : « Haut la tête et regarde le monde en face ! Fort de ta conscience, marche droit et relève-toi ! C’est une épreuve épouvantable, mais il faut la subir. »

Je ne t’écris pas plus longuement, car je veux que cette lettre parte ce soir.

Écris-moi longuement, écris-moi tout ce que font les nôtres.

Je t’embrasse mille fois comme je t’aime, comme je t’adore, ma Lucie chérie.

Mille baisers aux enfants. Je n’ose pas t’en parler plus longuement, les pleurs me viennent aux yeux en pensant à eux.

Écris-moi vite,

Alfred.

Toutes mes affections à toute la famille. Dis leur bien que je suis aujourd’hui ce que j’étais hier, n’ayant qu’un souci, c’est de faire mon devoir.

M. le Commissaire du gouvernement m’a prévenu que ce serait Me Demange qui se chargerait de ma défense. Je pense donc le voir demain. Écris-moi à la prison ; tes lettres passeront, comme les miennes, par M. le Commissaire du Gouvernement.

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Jeudi matin, 7 décembre 1894.

J’attends avec impatience une lettre de toi. Tu es mon espoir, tu es ma consolation ; autrement la vie me serait à charge. Rien que de penser qu’on a pu m’accuser d’un crime aussi épouvantable, d’un crime aussi monstrueux, tout mon être tressaille, tout mon corps se révolte. Avoir travaillé toute sa