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LETTRES D’UN INNOCENT

Maintenant, te dire tout ce que mon cœur contient pour toi, pour nos enfants, pour vous tous, c’est inutile, n’est-ce pas ? Dans le bonheur, on ne s’aperçoit même pas de toute la profondeur, de toute la puissance de tendresse qui réside au fond du cœur pour ceux que l’on aime. Il faut le malheur, le sentiment des souffrances qu’endurent ceux pour qui l’on donnerait jusqu’à la dernière goutte de son sang, pour en comprendre la force, pour en saisir la puissance. Si tu savais combien souvent j’ai dû appeler à mon aide, dans les moments de détresse, ta pensée, celle des enfants, pour nous forcer à vivre encore, pour accepter ce que je n’aurais jamais accepté sans le sentiment du devoir.

Et cela me ramène toujours à cela, ma chérie : fais ton devoir, héroïquement, invinciblement, comme une âme humaine très haute et très fière qui est mère et qui veut que le nom qu’elle porte, que porte ses enfants soit lavé de cette horrible souillure.

Donc à toi, comme à tous, toujours et encore, courage et courage ! Te parler de moi, je ne le puis, je t’en ai donné les raisons dans ma précédente lettre. Je veux donc simplement terminer ces quelques lignes en t’embrassant de tout mon cœur, de toutes mes forces, comme je t’aime, ainsi que nos chers enfants.

Ton dévoué,

Alfred.

Remercie tes chers parents, tous les nôtres de leurs lettres si empreintes d’une profonde tendresse et d’une non moins profonde douleur. À quoi bon leur écrire ? Parler de moi, de nos souffrances, hélas ! nous nous connaissons trop bien les uns les autres pour ne