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LE CAPITAINE DREYFUS

Cette grandeur d’âme que nous avons tous montrée, les uns comme les autres, qu’on ne se fasse nulle illusion, cette grandeur d’âme ne doit être ni de la faiblesse, ni de la jactance ; elle doit s’allier, au contraire, à une volonté chaque jour grandissante, grandissante à chaque heure du jour, pour marcher au but : la découverte de la vérité, de toute la vérité pour la France entière.

Certes, parfois la blessure est par trop saignante, et le cœur se soulève, se révolte ; certes, souvent, épuisé comme je le suis, je m’effondre sous les coups de massue, et je ne suis plus alors qu’un pauvre être humain d’agonie et de souffrances ; mais mon âme indomptée me relève, vibrant de douleur, d’énergie, d’implacable volonté devant ce que nous avons de plus précieux au monde : notre honneur, celui de nos enfants, le nôtre à tous ; et je me redresse encore pour jeter à tous le cri d’appel vibrant de l’homme qui ne demande, qui ne veut que de la justice, pour venir toujours et encore vous embraser tous du feu ardent qui anime mon âme, qui ne s’éteindra qu’avec ma vie.

Moi, je ne vis que de ma fièvre, depuis si longtemps, au jour le jour, fier quand j’ai gagné une longue journée de vingt-quatre heures. Je subis le sort sot et inutile du Masque de fer, parce qu’on a toujours la même arrière-pensée, je te l’ai dit franchement dans une de mes dernières lettres.

Quant à toi, tu n’as à savoir ni ce que l’on dit, ni ce que l’on pense. Tu as à faire inflexiblement ton devoir, vouloir non moins inflexiblement ton droit : le droit de la justice et de la vérité. Oui, il faut que la lumière soit faite, je formule nettement ma