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LE CAPITAINE DREYFUS
Décembre 1894.
Ma bonne chérie,

Ta lettre que j’attendais impatiemment m’a fait éprouver un grand soulagement et en même temps m’a fait monter les larmes aux yeux en songeant à toi, ma bonne chérie.

Je ne suis pas parfait. Quel homme peut se vanter de l’être ? Mais, ce que je puis assurer, c’est que j’ai toujours marché dans la voie du devoir et de l’honneur ; jamais je n’ai eu de compromis avec ma conscience sur ce sujet. Aussi, si j’ai beaucoup souffert, si j’ai éprouvé le martyre le plus épouvantable qu’il soit possible d’imaginer, ai-je toujours été soutenu dans cette lutte terrible par ma conscience qui veillait droite et inflexible.

Ma réserve un peu hautaine, la liberté de ma parole et de mon jugement, mon peu d’indulgence, me font aujourd’hui le plus grand tort. Je ne suis ni un souple, ni un habile, ni un flatteur.

Jamais nous ne voulions faire de visites ; nous restions cantonnés chez nous, nous contentant d’être heureux.

Et aujourd’hui on m’accuse du crime le plus monstrueux qu’un soldat puisse commettre !

Ah ! si je tenais le misérable qui non seulement a trahi son pays, mais encore a essayé de faire retomber son infamie sur moi, je ne sais quel supplice j’inventerais pour lui faire expier les moments qu’il m’a fait passer.

Il faut cependant espérer qu’on finira par trouver le coupable. Ce serait, sans cela, à désespérer de la justice en ce monde.