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LE CAPITAINE DREYFUS
Mardi, 13 décembre 1894.
Ma bonne chérie,

J’arrive enfin au terme de mes souffrances, au terme de mon martyre. Demain je paraîtrai devant mes juges, le front haut, l’âme tranquille.

L’épreuve que je viens de subir, épreuve terrible s’il en fût, a épuré mon âme. Je te reviendrai meilleur que je n’ai été. Je veux te consacrer à toi, à mes enfants, à nos chères familles, tout ce qui me reste encore à vivre.

Comme je te l’ai dit, j’ai passé par des crises épouvantables. J’ai eu de vrais moments de folie furieuse, à la pensée d’être accusé d’un crime aussi monstrueux.

Je suis prêt à paraître devant des soldats, comme un soldat qui n’a rien à se reprocher. Ils verront sur ma figure, ils liront dans mon âme, ils acquerront la conviction de mon innocence comme tous ceux qui me connaissent.

Dévoué à mon pays auquel j’ai consacré toutes mes forces, toute mon intelligence, je n’ai rien à craindre.

Dors donc tranquille, ma chérie, et ne te fais aucun souci. Pense seulement à la joie que nous éprouverons à nous trouver bientôt dans les bras l’un de l’autre, à oublier bien vite ces jours tristes et sombres.

À bientôt donc, ma bonne chérie, à bientôt le bonheur de t’embrasser ainsi que nos bons chéris.

Mille baisers en attendant cet heureux moment.

Alfred.
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