Page:Dreyfus - Lettres d un innocent (1898).djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
40
LETTRES D’UN INNOCENT

puissant de votre sympathie, je crois que je me laisserais aller et que le désespoir entrerait dans mon âme. C’est ton amour, c’est votre affection à tous, qui me donnent le courage, de vivre.

Me Demange vient de venir ; il est resté quelques instants avec moi. Sa foi en moi est complète et absolue ; c’est ce qui me donne également du courage.

Ce ne sont pas les souffrances physiques qui m’effraient ; je suis de taille à les supporter. Mais cette torture morale continuelle, ce mépris qui va me poursuivre partout, moi si fier, si sûr de mon honneur, c’est cela que je trouve terrible et épouvantable.

Enfin, ma chérie, je ne veux pas te torturer plus l’âme. Ton chagrin est déjà assez grand.

Je t’embrasse bien fort,

Alfred.
————
Mercredi, dix heures du soir.

Je ne dors pas et c’est vers toi que je reviens encore. Suis-je donc marqué d’un sceau fatal, pour être abreuvé de tant d’amertume ? Je suis calme en ce moment ; mon âme est forte et s’élève dans le silence de la nuit. Comme nous étions heureux, ma chérie ! Tout nous souriait dans la vie : fortune, amour, enfants adorables, famille unie, tout enfin ; puis ce coup de foudre épouvantable, effroyable. Achète, je te prie, des jouets aux enfants pour leur jour de l’an ; dis-leur qu’ils viennent de leur père ; il ne faut pas que ces pauvres âmes qui entrent dans la vie souffrent déjà de nos peines.