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LE CAPITAINE DREYFUS

Ah ! ma chérie, si je ne t’avais, comme je quitterais la vie avec délices ! Ton amour me retient, lui seul me permet de supporter la haine de tout un peuple.

Et ce peuple a raison : on lui a dit que j’étais un traître. Ah ! ce mot horrible de traître, comme il m’arrache le cœur !

Moi… traître ! Est-il possible qu’on ait pu m’accuser et me condamner pour un crime aussi monstrueux !

Criez bien haut mon innocence ; criez de toutes les forces de vos poumons ; criez-le sur tous les toits, afin que les murs s’ébranlent.

Et cherchez le coupable, c’est celui-là qu’il nous faudrait.

Je t’embrasse comme je t’aime,

Alfred.
————
27 décembre 1894.
(Jeudi, six heures du soir.)
Ma chère Lucie,

Ton héroïsme me gagne ; fort de ton amour, fort de ma conscience et de l’appui inébranlable que je trouve dans nos deux familles, je sens mon courage renaître.

Je lutterai donc jusqu’à mon dernier souffle, je lutterai jusqu’à ma dernière goutte de sang.

Il n’est pas possible que la lumière ne se fasse pas quelque jour ; sentant ton cœur battre près du mien, je supporterai tous les martyres, toutes les humiliations, sans courber la tête. Ta pensée, ma chérie, me donnera les forces nécessaires.