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LE CAPITAINE DREYFUS
Le 28 décembre 1894.
(Vendredi, 10 heures matin.)
Ma chère Lucie,

J’ai reçu ta bonne lettre datée d’hier à midi. Tu as raison, il faut que je vive, il faut que je vive pour toi, pour nos chers enfants dont il faut que je réhabilite le nom. Quelles que soient les épouvantables tortures morales que je vais éprouver, il faut que je résiste. Je n’ai pas le droit de déserter mon poste.

Si j’étais seul en cause, je n’hésiterais pas ; mais ton nom, le nom de ma famille, tout est atteint. Il faut donc s’armer de courage pour la lutte : à force d’énergie, de volonté, nous triompherons. On finira bien par parler. Appuyé sur ton inébranlable courage, nous réussirons.

Écris-moi souvent. Relayez-vous tour à tour. Chacune de vos lettres me soulage ; il me semble que je t’entends parler, que j’entends parler tes chers parents.

Je t’embrasse ainsi que toute ta chère famille.

Mille bons baisers aux enfants.

Alfred.
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Vendredi, midi.

Je reçois ta lettre datée de jeudi soir, ainsi que les quelques bons mots de Pierrot. Embrasse bien ce chéri pour moi, embrasse bien Jeanne. Oui, il faut que je vive, il faut que je rassemble toute mon énergie pour laver la tache qui pèse sur la tête de mes enfants. Je serais lâche si je désertais mon poste. Je vivrai, je le veux.

Je t’embrasse,

Alfred.
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