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LETTRES D’UN INNOCENT

traître… mais je veux vivre, pour qu’il sache que ce traître ce n’est pas moi.

Soutenu par ton amour, par l’affection sans bornes de tous les nôtres, je vaincrai la fatalité. Je ne prétends pas que je n’aurai pas encore parfois des moments d’abattement, de désespoir même. Vraiment, pour ne pas se plaindre d’une erreur aussi monstrueuse, il faudrait une grandeur d’âme à laquelle je ne prétends pas. Mais mon cœur restera fort et vaillant.

Donc, du courage et de l’énergie, ma chérie. Il nous en faut à tous. Levez tous la tête, portez-la fière et haute, nous sommes des martyrs.

Je vivrai, mon adorée, parce que je veux que tu puisses continuer à porter mon nom comme tu l’as fait jusqu’à présent, avec honneur, avec joie et avec amour, parce qu’enfin, je veux le transmettre intact à nos enfants.

Ne vous laissez donc pas abattre par l’adversité ni les uns ni les autres ; cherchez la vérité sans trêve ni repos.

Quant à moi, j’attendrai avec la force que donne une conscience pure et tranquille que l’on tire au clair cette mystérieuse et tragique affaire.

Tu sais d’ailleurs, ma chérie, que la seule grâce que j’aie jamais sollicitée, c’est la vérité. J’espère qu’on ne faillira pas à ce devoir qu’on doit à un être humain qui ne demande qu’une chose : c’est qu’on poursuive les recherches.

Et quand luira le jour de la réhabilitation, quand on me rendra mes galons que je suis aussi digne de porter aujourd’hui qu’hier, quand enfin je me verrai, de nouveau à la tête de nos braves troupiers, oh !