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INTRODUCTION

L’expert habituel du ministère, l’honorable M. Gobert, également expert du Parquet et de la Banque de France, fut appelé à donner son avis. Il émit l’opinion qu’on devait faire fausse route, mais on ne s’arrêta pas à un aussi gênant conseil ; on fit de même pour M. Pelletier qui montra les mêmes scrupules, et l’on ne se tint pour satisfait que lorsqu’on put enfin fortifier l’accusation des conclusions de MM. Bertillon, Teyssonnières et Charavay. Que la bonne foi de ces trois derniers experts ait été entière, il n’y a aucun intérêt à le contester ; mais leur appréciation choquait les plus claires vraisemblances : c’est ce qui ressortait avec évidence des termes mêmes de leur rapport.

Ils avaient été les premiers à constater, en effet, des dissemblances entre l’écriture de Dreyfus et celle du bordereau, tout en les déclarant de même origine, et ces dissemblances avaient dû être expliquées par eux. Or, ils n’avaient rien trouvé de plus simple que de les déclarer a priori volontaires. D’après eux, Dreyfus avait sans doute voulu détourner de lui les soupçons et il avait dû s’appliquer à changer, dans une certaine mesure, la forme de ses lettres et ses habitudes de main.

La supposition était d’autant plus téméraire qu’elle était grosse d’absurdité. Comment, si Dreyfus, écrivant le bordereau, eût craint d’être dénoncé par son écriture, n’en eût-il pas complètement dénaturé le caractère et se fût-il contenté de quelques changements insuffisants pour se mettre à l’abri de toutes suspicions ? Il n’était pas permis de lui prêter une pareille sottise et toute l’expertise ne reposait ainsi que sur un faux raisonnement. Les dissemblances