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LETTRES D’UN INNOCENT

portion de toutes les souffrances que je m’impose. Veux-tu être assez bonne pour demander ou faire demander au ministre les autorisations suivantes que lui seul peut accorder : 1o Le droit d’écrire à tous les membres de ma famille, père, mère, frères et sœurs ; 2o Le droit d’écrire et de travailler dans ma cellule. Actuellement je n’ai ni papier, ni plume, ni encre. On me remet seulement la feuille de papier sur laquelle je t’écris, puis on me retire plume et encre ; 3o La permission de fumer.

Je ne te conseille pas de venir avant que tu ne sois complètement guérie. Le climat est très rigoureux et tu as besoin de toute ta santé pour nos chers enfants d’abord, pour le but que tu poursuis ensuite. Quant à mon régime ici, il m’est interdit de t’en parler.

Je te rappelle enfin qu’avant de venir ici, il faut que tu te munisses de toutes les autorisations nécessaires pour me voir, demander le droit de m’embrasser, etc., etc.

Quand serons-nous réunis, ma chérie ? Je vis dans cet espoir et dans celui bien plus grand de la réhabilitation future, mais que je souffre moralement. Dis à toute la famille qu’il faut travailler sans trêve ni repos, car tout cela est épouvantable et tragique. Écris-moi bien vite. Je t’embrasse comme je t’aime,

Alfred.
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Le 21 janvier 1895
(Mardi, 9 heures du matin)

Comme tu dois souffrir !… Le drame dont nous sommes les victimes est certainement le plus épou-