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LE CAPITAINE DREYFUS

Mais pourquoi, et surtout pour qui cet odieux martyre ?

Je te serre sur mon cœur,

Alfred.

Ne viens pas avant d’être complètement rétablie et en excellente santé. Nos enfants ont besoin de toi.

————
Le 23 janvier 1895.
Ma chérie,

Je reçois tous les jours de tes lettres ; on ne m’a encore remis de lettre d’aucun membre de la famille ; de même, de mon côté, je n’ai pas encore l’autorisation de leur écrire. Je t’ai écrit tous les jours depuis samedi ; j’espère que tu es en possession de mes lettres.

Il ne faut pas s’étonner, ma chérie, de la scène de la Rochelle. Moi, je la trouve toute naturelle ; ce qui m’étonne bien plus, c’est qu’il ne se soit encore trouvé personne pour dire ce que sont vraiment nos familles dont les noms sont synonymes de loyauté et d’honneur. Ah ! la lâcheté humaine, j’en ai mesuré l’étendue dans ces jours tristes et sombres !

Quand je pense à ce que j’étais il y a quelques mois à peine, et quand je le compare à ma situation misérable d’aujourd’hui, j’avoue que j’ai des défaillances, des colères farouches, contre l’injustice du sort. Je suis, en effet, la victime de l’erreur la plus épouvantable de notre siècle. Ma raison se refuse parfois à y croire ; il me semble que je suis le jouet d’une terrible hallucination, que tout cela va se dissiper… mais, hélas ! la réalité est tout autour de moi.