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LE CAPITAINE DREYFUS

paré cela à ma situation présente, des sanglots m’ont saisi à la gorge, il me semblait que mon cœur se déchirait et j’ai dû, pour que mes gardiens ne m’entendissent pas, tant j’étais honteux de ma faiblesse, étouffer mes pleurs sous mes couvertures.

Vraiment, c’est trop cruel !

Ah ! combien j’éprouve aujourd’hui qu’il est parfois plus difficile de vivre que de mourir !

Mourir, c’est un moment de souffrance, mais c’est l’oubli de tous les maux, de toutes tortures.

Tandis que porter chaque jour le poids de ses souffrances, sentir son cœur saigner et chacun de ses nerfs torturé, toutes les fibres de la sensibilité tressaillir l’une après l’autre… souffrir enfin le long martyre du cœur… Voilà ce qu’il y a de vraiment épouvantable !

Mais ce droit de mourir, je ne l’ai pas, nous ne l’avons ni les uns, ni les autres. Nous ne l’aurons que lorsque la vérité sera découverte, que lorsque mon honneur me sera rendu. Jusque là il faut vivre. Je fais tous mes efforts pour cela, j’essaie d’annihiler en moi toute la partie intellectuelle et sensible pour vivre en bête uniquement préoccupée de satisfaire ses besoins matériels.

Quand donc cet horrible martyre sera-t-il fini ? Quand donc reconnaîtra-t-on la vérité ?

Comment vont nos pauvres chéris ? Quand je pense à eux, c’est un torrent de larmes. Et toi, j’espère que ta santé est bonne. Il faut te soigner, ma chérie. Les enfants d’abord, la mission que tu as à remplir ensuite, t’imposent des devoirs auxquels tu ne peux manquer.

Pardon de mon style baroque et décousu. Je ne