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LETTRES D’UN INNOCENT

sais plus écrire, les mots ne me viennent plus, tant mon cerveau est délabré. Il n’y a plus qu’un point fixe dans ma tête : l’espoir de connaître un jour la vérité, de voir mon innocence reconnue et proclamée. C’est ce que je balbutie nuit et jour, dans mes rêves comme dans mon réveil.

Quand pourrais-je t’embrasser et retrouver dans ton profond amour la force qui m’est nécessaire pour aller jusqu’au bout de cet épouvantable calvaire ?

Embrasse tout le monde pour moi.

Baisers aux chéris.

Je t’embrasse comme je t’aime,

Alfred.
————
Le 3 février 1895.
(Dimanche)
Ma chérie,

Je viens de passer une semaine atroce. Je suis sans nouvelles de toi depuis dimanche dernier, c’est-à-dire depuis huit jours. Je me suis imaginé que tu étais malade, puis que l’un des enfants l’était… J’ai fait ensuite toutes sortes de suppositions dans mon cerveau malade… J’ai bâti toutes sortes de chimères.

Tu peux t’imaginer, ma chérie, tout ce que j’ai souffert, tout ce que je souffre encore. Dans mon horrible solitude, dans la situation tragique dans laquelle des événements aussi bizarres qu’incompréhensibles m’ont placé, j’avais au moins cette unique consolation, c’est de sentir près de moi ton