Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/421

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derrière lui, et, sous un feu épouvantable, il avait réussi à faire enlever tous ses blessés.

Car on savait trop quel sort leur réservaient les barbares qui suivaient.

Aussi la panique, la redoutable panique, celle qui transforme en bandes affolées les meilleures troupes, n’avait pas été bien loin, et c’est ici que se place un trait qui vous prouvera, mes enfants, ce que peut un chef sur ses soldats, dans les moments critiques, lorsqu’il est aimé d’eux.

C’était à l’heure où le dernier assaut nous avait coûté si cher, à Cua-Aï, à la Porte de Chine.

Les hommes, exténués de fatigue, mourant de faim et affectés par la disparition de tant de leurs camarades, s’étaient laissés tomber dans la boue, incapables, semblait-il, d’un nouvel effort.

Les pauvres diables se plaignaient avec des gémissements, pareils à ces murmures dont le bruit peut perdre une armée.

Le général de Négrier entendit et s’approcha : il était pâle.

— Silence ! cria-t-il.

Sa voix vibrait étrangement. Le silence se fit solennel et les hommes se redressèrent, respectueux et repris.

On aurait dans cette ombre entendu une mouche.

C’était poignant et très beau.

— Soldats ! continua le général, on ne doit entendre ici que la voix de vos officiers. C’est surtout à de pareilles heures, qu’ayant montré votre bravoure, vous devez montrer votre discipline… Voici l’ordre de marche : la brigade va rentrer à Dong-Dang !

Sans un mot, les hommes se remirent en route, émus et tellement subjugués qu’ils retenaient leur fourreau de sabre et leur bidon pour ne pas faire de bruit[1].

Le lendemain la colonne s’était retrouvée à Lang-Son, et, des renforts ayant rejoint, son effectif était remonté à trois mille cinq cents hommes. La journée du 26 ayant été calme, on en avait profité pour évacuer tous les blessés sur Chu, et, le 27, on s’était reformé. Le 28, les Chinois avaient attaqué, disposés en forme de V, non pas comme Bugeaud à la bataille de l’Isly, avec la pointe du V en avant ; mais au contraire avec ses deux branches

  1. Extrait de la lettre d’un officier, témoin oculaire.