Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/199

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comme un officier payeur. Et, dis-moi, es-tu content de faire cette nouvelle campagne ?

— Oh ! oui, s’il n’y avait pas ce vilain mal de mer. Il s’interrompit, courut au bordage, se pencha, et revint très pâle.

— Il faut continuer à causer, petit… le mal t’oubliera. Réponds à mes questions : sais-tu où nous allons ?

— Pour cela, non, commandant.

— On n’en parle pas à la 9e demi-brigade ?

— Oh ! si : il y en a qui disent qu’on va en Grèce, les autres à Constantinople, pour faire alliance avec le grand Turc ; mais ça nous est bien égal d’aller ici ou là ; avec le général Buonaparte, nous irions au bout du monde.

— Tu le connais, le général ?

— Non, et pourtant il est sur ce bateau : mais depuis que nous sommes partis, je ne l’ai vu que de loin, un jour où il est monté sur la passerelle avec l’amiral, et encore il me tournait le dos. Je voudrais bien le voir de près ; je serais si content !

— Tu l’aimes donc bien ?

— Oh ! oui, et surtout je l’admire ; oh ! je l’admire tant ! Songez donc à tout ce qu’il a fait déjà : à Arcole, à Castiglione, à Rivoli ; et tous ces drapeaux que j’ai été voir aux Invalides et qu’il a envoyés d’Italie !… Et puis le commandant disait l’autre jour qu’il comptait bien sur lui pour nous débarrasser de tous ces bavards du Directoire…

L’officier sourit.

— Ah ! il a dit cela, ton commandant ?

— Oui ; et songez que le général Buonaparte n’a que trente ans.

— Vingt-neuf même, je crois…

— Alors vous comprenez, poursuivit Jean qui s’enhardissait, il peut bien nous mener aux Grandes-Indes ; on le suivrait les yeux fermés.

— Aux Grandes-Indes ? mais pourquoi ? demanda l’officier dont l’œil noir s’alluma soudain.

— Mais pour attaquer les Anglais, donc !…

— Les Anglais aux Grandes-Indes ! Pourquoi irions-nous les chercher si loin quand l’Angleterre est si près ?

— Ah ! parce que leurs flottes empêchent de débarquer en Angleterre ; mais là-bas, en Asie, ils ne se méfient pas !… Et quel coup si on leur