Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/318

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Ses yeux avaient erré, hagards, mais il n’avait pas prononcé une parole ; puis la fièvre l’avait envahi, sans toutefois provoquer le délire.

Notre pauvre ami était resté étendu dans son lit, en proie à un coma prolongé, qui n’était pas sans inquiéter Larrey et surtout Lison, qui voyait passer dans les yeux du chirurgien l’anxiété la plus vive.

Enfin, le soir du deuxième jour, la fièvre avait pris une autre allure, car le délire s’était déclaré.

Il fallut même que Cancalot et un des grenadiers que le commandant Merle avait envoyés pour avoir des nouvelles, maintinssent leur officier qui inconscient, voulait à toutes forces se lever pour marcher aux Anglais.

Les yeux brillants, Jean Cardignac ne reconnaissait personne ; mais, de sa gorge oppressée, un flux de paroles ardentes jaillissait :

— … Lison ! gare !., voilà un boulet !… Belle-Rose, à moi !… Venez par ici, maman Catherine !… Par le flanc droit !… À gauche en bataille !… Nous les tenons ! les brigands d’Anglais !… À vous, mon capitaine !… Vive l’Empereur !… Vive l’Empereur !… Vive l’Empereur !!…

Ce fut une nuit terrible, car le blessé ne se calma un peu que vers le matin. Encore proférait-il souvent des commandements, des cris de : Vive l’Empereur ! auxquels il mêlait le doux nom de Lisette.

C’est ainsi que Larrey l’avait trouvé et comme on l’a vu, il en avait rendu compte à l’Empereur.

Le délire persista pendant plusieurs jours, mais en diminuant graduellement d’intensité. Au bout d’une semaine, qui parut mortellement longue à la jeune femme, notre ami Jean put être considéré comme définitivement sauvé.

Il n’eut pourtant pas la possibilité de remercier son sauveur, le chirurgien Larrey. Car, la veille même du jour où Jean Cardignac reprit connaissance, le 29 août 1805, l’armée avait quitté Boulogne pour se diriger sur l’Allemagne. Napoléon lui-même n’était plus là.

Abandonnant définitivement et à regret son plan de descente en Angleterre, plan que le retard de la flotte de l’amiral Villeneuve rendait impraticable, l’Empereur avait pris la résolution de frapper la coalition sur le continent et d’anéantir d’un seul coup deux de nos ennemis coalisés : l’Autriche et la Russie.

Jean restait donc à Boulogne, soigné maintenant par le chirurgien-major d’un des régiments laissés au camp.