Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/341

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sur son carnet, grava dans son esprit les moindres détails de la conformation du terrain et donna l’ordre de la retraite.

Il était temps, car le brouillard, qui l’avait jusqu’alors protégé, se levait maintenant ; le soleil montait, et de la ligne des factionnaires prussiens, on aurait pu facilement distinguer son uniforme.

Il se hâta donc. Piquant à travers bois, il se dirigea vers la ferme. « Mon garçon, — dit-il tout en cheminant à son guide, — tu as gagné ton argent, mais je ne te donnerai tes napoléons qu’au quartier de l’Empereur où tu vas m’accompagner, de peur qu’il ne te vienne la mauvaise inspiration d’aller prévenir l’ennemi de notre arrivée. »

L’homme fit la grimace, mais ne répondit pas.

Or, comme ils arrivaient en vue de la ferme, une surprise les attendait.

Deux soldats prussiens (un sergent et un simple soldat) étaient dans la cour et se livraient à une chasse en règle vis-à-vis de la volaille effarée. C’étaient deux maraudeurs qui, ayant réussi à franchir la ligne des avant-postes, se disposaient à faire main-basse sur les poules du fermier, car le respect de la propriété, alors comme aujourd’hui, n’était pas précisément en honneur chez les soldats du roi de Prusse.

À l’aspect des deux voleurs, le paysan qui servait de guide à Jean Tapin n’avait pu retenir un juron.

— Ah ! les brigands ! s’était-il écrié, les voilà qui pillent mon bien ! Si ce n’est pas une misère d’être obligé de supporter ça !

Il serrait les poings, et, sans la peur des coups, il se serait élancé pour disputer ses poules aux deux malandrins.

L’angoisse de se voir volé le rendait presque brave !

Jean Cardignac sourit.

— Tranquillise-toi, mon garçon, dit-il. J’en fais mon affaire. Contente-toi de me suivre à dix pas.

— Merci, monsieur l’officier, répondit l’autre d’un air convaincu. J’avais bien entendu dire que l’Empereur et ses Français étaient de braves gens.

— C’est vrai, mon garçon ? dit alors le lieutenant. L’Empereur n’a jamais que des idées justes, et, s’il vient chez vous, c’est pour y faire régner la liberté et la justice comme en France ; tu peux le dire à tes amis et connaissances.

Et sur cette déclaration, assez originale en un pareil moment, Jean arma son pistolet.