Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/375

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À la vue d’un officier de l’Empereur, la frayeur s’était emparé des cinq Italiens qui cherchèrent d’abord à s’enfuir. Mais prenant un pistolet dans ses fontes, Jean Tapin en abattit un ; puis énergique :

— Que personne ne cherche à fuir ! s’écria-t-il, ou je vous charge et vous n’irez pas loin ! Bas les armes ! Et avancez à l’ordre !

Domptés par la peur, les soldats obéirent ; et, honteux, ils se rangèrent devant Cardignac.

— Vous êtes de vils misérables ! Vous êtes des lâches ! dit-il avec une rage sourde. Vous déshonorez l’habit que vous portez.

Sans descendre de cheval, il ordonna de délier le vieillard qui lui adressait en russe des supplications.

Ne comprenant pas cette langue, Jean eut l’idée de le questionner en allemand.

Comme beaucoup de paysans de la province de Wilna comprennent et parlent un mauvais patois allemand, l’officier put avoir des détails, tant par le vieux que par la jeune femme dont on avait tué le mari.

Il sut que les pillards s’étaient emparés de divers objets et d’une somme d’argent qu’ils avaient enfouis dans leurs sacs, car, à leur entrée dans l’isba, ils avaient trouvé la femme seule avec son petit garçon ; c’était l’arrivée inopinée des deux hommes qui avait motivé la lutte et le drame.

Tout en écoutant, Jean Cardignac rechargeait son pistolet.

— Bien ! dit-il au vieillard, vous allez me suivre jusqu’au quartier de l’Empereur. Prenez un de ces fusils et enfermez les autres chez vous où on viendra les reprendre. Quant à vous, Madame, poursuivit-il, je ne puis malheureusement pas vous rendre votre mari. Mais, soyez sans crainte, il sera vengé. Ces gens-là ne sont pas des soldats, ce sont des bandits.

Jean fit transporter dans l’isba le corps du malheureux moujik, ordonna aux quatre pillards survivants de vider leurs sacs et de restituer l’argent et les objets volés. Puis :

— En route ! dit-il durement. Que pas un de vous ne bouge s’il tient à sa peau !

C’est ainsi que, escorté du moujik que suivait en pleurant son petit garçon, Jean ramena les quatre pillards jusque devant l’Empereur.

En campagne, la justice est sommaire : son principal but n’est pas seulement de châtier, mais de faire des exemples.