poursuite, accourt avec vingt mille Prussiens et comble l’intervalle entre Wellington et Bulow.
Les boulets arrivent sur nos derrières ; la droite française est tournée : le cri fatal de « sauve qui peut ! » échappé à quelques lâches ou lancé par quelques traîtres, provoque la déroute des divisions de Drouet. Les corps se débandent, tout roule et se précipite sur la route de Charleroi. La bataille est irrévocablement perdue : tout est fini pour Napoléon !
Tout est-il fini pour la Garde Impériale ?
Non : il lui reste à mourir !
La nuit était tout à fait tombée, enveloppant de son ombre ces vallons, ces côteaux où tant d’héroïsme s’était dépensé en pure perte.
Au milieu du refoulement désordonné de l’armée, émergeaient seuls les carrés de la Garde que Napoléon avait disposés lui-même près de la ferme de la Belle-Alliance pour endiguer le torrent.
Ils semblaient, dans leur inébranlable fermeté, des rochers battus par une mer mouvante.
Ils ne renfermaient pas seulement leurs aigles, mais aussi des drapeaux de plusieurs régiments dispersés ; nombre d’officiers généraux s’y trouvaient également : dans l’un de ces carrés, formé d’un bataillon du 1er Grenadiers et commandé par le chef de bataillon Martenot, on distinguait la silhouette de Napoléon sur « Marengo » le fameux cheval qui l’avait porté à travers l’Europe.
Sombre, mais impassible, l’Empereur attendait le dernier coup du destin et songeait à mourir l’épée à la main.
Jean Cardignac ne se trouvait pas dans le carré de l’Empereur, mais dans celui que commandaient deux braves généraux de la Garde, le général Michel et le général Cambronne.
Sous l’effort de l’ennemi et surtout sous la poussée de l’armée en déroute, les carrés reculaient lentement vers le fond du vallon, et dans ces mouvements indécis en pleine obscurité, ils se perdirent de vue.
Vers dix heures du soir, le carré de Cardignac se trouva seul. À la lueur des coups de feu, Jean perçut qu’ils étaient environnés de troupes anglaises et que des canonniers plaçaient à cent mètres six pièces en batterie.