Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/102

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éternellement face à face avec leur barbarie, en se bornant à les réduire à l’impuissance par les moyens coercitifs.

Les ravages inhérents à l’état de guerre épuisent le sol, si fécond soit-il ; les populations désertent ; la terre reste en friche et, n’étant point cultivée, ne rapporte rien. Or, la valeur d’une colonie (en dehors de sa puissance stratégique) dépend de son rendement.

La conquête violente est le premier acte ; mais le second, l’appropriation de cette conquête et sa mise en état de civilisation, est encore plus important. Bugeaud eut ce grand mérite de le comprendre et de l’exécuter, en partie du moins, car les débuts en cette matière sont toujours rudes.

Pour la mise en valeur dont nous parlons, il faut des bras pour cultiver. Or, en période de guerre, alors que la parole est à la poudre, que le fer et le feu seuls peuvent être l’ultime raison, les colons se font rares ; à juste titre, la crainte les retient dans la mère patrie.

Il faut donc utiliser les éléments dont on dispose, c’est-à-dire les soldats et les populations vaincues.

Ce n’est pas toujours commode, car les battus ne sont pas contents : cela se conçoit ; on doit donc, pour les ramener à soi, pour se les assimiler, déployer d’infinies qualités de diplomate, et surtout leur démontrer par l’exemple, la valeur des raisonnements qu’on leur tient, enfin leur faire toucher du doigt les bienfaits palpables, évidents, que la civilisation leur apporte et dont pourtant, de prime abord, ils ne voulaient pas.

C’est ce que fit le général Bugeaud.

Pour faciliter les transactions, il faut pouvoir transporter les marchandises qui en sont l’objet. Donc il faut des routes. C’est le premier point. Or, il n’y avait en Afrique que des sentiers et des pistes à chameaux.

Bugeaud fit faire des routes par ses soldats.

Entre deux colonnes, ses zouaves, ses chasseurs, ses fantassins maniaient la pioche et la pelle, sous la direction du génie militaire, dont la part de gloire est vraiment superbe, quoique peu connue, dans cette conquête.

Le général, à côté de ces routes créées, faisait mettre en culture les terrains, si fertiles pourtant mais abandonnés ; il en tirait un double profit : premièrement, il occupait et nourrissait en partie ses troupes ; en second lieu, il étonnait les indigènes par les résultats obtenus et les incitait à imiter l’exemple de leurs vainqueurs.