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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/12

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Raoul de Nessy, enseigne de vaisseau, commandant en second le brick de guerre l’Aventure, eut un léger sourire ; et, interrompant son interlocuteur, un sous-lieutenant de chasseurs à cheval, au visage plein et rose, mais dont la physionomie, un peu enfantine au repos, s’éclairait soudain d’un regard énergique :

— Mon cher Cardignac, dit-il, vous parlez-en cavalier que rien n’arrête ; en chasseur à cheval qui n’apprécie que cette formule : «  En avant !… pour charger… au galop !!… » Vous ne songez pas qu’une flotte ne se mène pas comme un escadron et qu’il est une puissance avec laquelle, nous autres marins, nous devons compter : le vent… ami ou ennemi selon son bon plaisir… Patience, mon cher, patience ! Vous aurez tout le temps de vous dédommager en jouant du sabre avec les Arabes et les Turcs…

Henri Cardignac eut une moue impatientée.

— N’importe ! fit-il, c’est singulier !… Comment ! le vice-amiral Duperré détache notre brick pour annoncer son arrivée ; nous avons quitté Toulon en même temps que lui ; voilà quarante-huit heures que nous sommes ici, et la flotte n’est pas encore en vue !… C’est à croire qu’il lui est arrivé malheur…

— Non ! repartit vivement l’officier de marine. Je ne crois pas à un malheur : la flotte est en marche ; mais notre avance n’a rien d’étonnant, car l’Aventure est un marcheur exceptionnel, et c’est évidemment cette raison qui l’a fait désigner par l’amiral comme éclaireur d’avant-garde.

— Que serait-ce donc, alors, s’écria en riant Henri Cardignac, si les idées de mon frère Jean prenaient corps !…

Et devant le regard interrogateur de M. de Nessy :

— Oui, poursuivit le jeune sous-lieutenant, non sans une pointe de raillerie, j’ai mon frère Jean, mon frère jumeau, qui est déjà, paraît-il, un savant très distingué ; il est artilleur et sort de Polytechnique ; il a sans cesse le nez dans les chiffres, et couche avec les plans des nouvelles inventions ; or il prétendait, l’autre jour, que, dans un avenir prochain, tous vos navires supprimeraient la voile et ne marcheraient plus qu’à la vapeur, comme ces machines qui commencent à se répandre dans l’industrie.

— Les machines de Watt : oui, votre frère a raison, dit gravement l’enseigne de vaisseau ; c’est l’avenir !

— Vraiment ! Vous aussi, mon cher marin ! fit Henri un peu démonté par l’assurance de cette réponse, vous y croyez ?