Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/13

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— J’y crois !

— Ah !… Pourtant l’Empereur Napoléon n’y a pas cru…

— Ne dites pas cela, Cardignac. Je suis persuadé qu’au fond, l’Empereur a reconnu que la découverte de Fulton était géniale ; mais il n’a pas eu le temps de la faire entrer dans la pratique : elle n’était d’ailleurs pas mûre alors, tandis qu’aujourd’hui…

— Un grain !… par le travers !… Bâbord derrière !…

Ces mots, lancés par un gabier du vigie, tombèrent du haut des hunes, coupant la phrase de l’enseigne de vaisseau.

Brusquement, celui-ci fit demi-tour et sonda du regard la direction désignée.

— C’est vrai ! murmura-t-il… un fort grain !

Puis, laissant Cardignac sur le gaillard d’arrière, M. de Nessy dégringola l’escalier à rampe de cuivre et se dirigea rapidement vers la passerelle.

C’était vrai ! un fort grain arrivait en effet sur la flotte de blocus.

Dans la brume envahissante, une buée montait des flots, estompant en silhouette confuse la ville d’Alger, dont on ne distinguait déjà plus que les fanaux.

À la droite du brick l’Aventure, les vaisseaux de haut bord de la division française commençaient à danser fortement sur les vagues, qui déjà moutonnaient, devenaient furieuses. Dans le ciel, envahi par la nuit, une épaisse nuée d’orage accourait à toute vitesse. Simple petit nuage noir lorsque la vigie l’avait aperçue, elle grossissait à vue d’œil, poussée par une rafale de vent d’ouest ; et avec elle, arrivait aussi une pluie cinglante.

— Tonnerre de Lorient ! grogna le maître-timonier qui venait de se poster près de la roue du gouvernail… — Est-ce que ça se gâterait ?… On dirait que ça chasse !

— Bah ! questionna Henri Cardignac ; … ce ne sera pas grave.

— Savoir !… mon officier ! Savoir !…

Effectivement, le grain devenait tempête. La mâture craqua ; les cordages sifflèrent sous l’effort du vent ; les vagues, soulevées, secouèrent rageusement l’Aventure, dont les chaînes d’ancre gémirent.

Malgré le danger d’une pareille manœuvre en pleine tempête, les matelots, sur l’ordre du commandant, le lieutenant de vaisseau d’Assigny, se précipitèrent, escaladant les haubans, gravissant les échelles. Cramponnés