Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gymnastique, de l’escrime, de la boxe, du bâton et du maniement d’armes ; tu te battras toute la journée avec tes camarades si ça te fait plaisir.

— Bien sûr que je me battrai, déclara Pierrot.

— Tu feras bien : tu recevras de bonnes piles et ça te formera le caractère, mon garçon.

Et sur cette assurance, le colonel avait une dernière fois embrassé sa femme et Lucienne.

— Est-ce que vous allez voir le capitaine Henri ? demanda encore Pierrot.

— Peut être : as-tu peur que je lui dise que tu ne veux rien faire de bon à la Flèche ?

— Non, mais vous lui demanderez s’il veut que j’entre dans cette école-là. S’il dit oui et s’il me promet de m’emmener après avec lui, j’entrerai.

— C’est encore bien heureux.

— Et puis, je veux vous embrasser bien fort pour lui : voulez-vous ?

— Certainement, mauvais diable : allons, tu es meilleur que tu n’en as l’air.

Avant de partir, le colonel avait écrit à ses deux fils la lettre que vous connaissez.

C’était un voyage de six à huit mois qu’il entreprenait là, car le globe n’était pas, comme aujourd’hui, sillonné dans tous les sens par des paquebots à grande vitesse, et le vieux soldat n’avait même que des notions très imparfaites sur l’itinéraire à suivre. Il savait seulement que des départs à peu près réguliers avaient lieu de Portsmouth pour la colonie anglaise du Cap et que les bâtiments qui effectuaient ce long voyage relâchaient à Sainte-Hélène.

Si vous prenez une carte du monde, vous verrez en effet, mes enfants, que cette île, aujourd’hui célèbre à l’égal des pays les plus fameux, est perdue au milieu de l’Océan Atlantique, à deux mille kilomètres de la côte d’Afrique la plus rapprochée et à trois mille lieues de France.

Le 16 mars 1840, le colonel Cardignac débarquait à Portsmouth. Il y revoyait, avec une indicible émotion, la ligne des pontons qui avaient servi de prison, pendant de longues années, à des milliers de Français, et au milieu d’eux le Protée, d’où il s’était évadé avec son ami Haradec en 1802. Mais il s’était condamné au mutisme absolu, de peur de se laisser aller, dans ce pays qu’il exécrait, à quelque violence susceptible d’entraver son projet,