Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/155

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du temps. Il faudrait à Napoléon un monument durable comme sa « mémoire. »

— C’est bien, dit le colonel en reposant le journal, ces paroles sont celles qu’il fallait dire. Je vais prendre des forces, et quand le jour sera venu, je serai prêt.

Mais une grande joie lui était réservée. Trois jours après, Jean et Henri firent irruption dans la maison, arrivant d’Afrique.

Ils connaissaient le vœu de leur père, avaient appris l’arrivée des Cendres de leur illustre parrain, et pris à temps un bateau pour Port-Vendres.

Mais l’explosion de leur joie s’éteignit et leur sourire se glaça en revoyant le vieillard qu’ils avaient laissé encore vert et ingambe, tout brisé et comme penché vers la tombe ; en vain voulurent-ils lui cacher leur lugubre impression : il la lut dans leur changement d’attitude et dans leurs réflexions à voix basse ; mais il n’était pas homme à se faire illusion et il avait vu trop souvent la mort en face pour la craindre.

Répondant à leurs secrètes anxiétés :

— Parlez haut, mes enfants, leur dit-il, et soyez tranquilles : je serai sur pied ce jour-là. Appuyé sur vous deux, je pourrai encore aller loin. Après !… à la grâce de Dieu !…


Enfin le grand jour arriva et Paris tout entier, ému, recueilli, se leva pour saluer une dernière fois Napoléon.

Je ne vous peindrai pas, mes enfants, l’affluence énorme des curieux, la magnificence des ornements du cercueil, les vingt chevaux caparaçonnés d’argent qui le traînaient, la splendeur du manteau impérial flottant au vent, la pompe extraordinaire du cortège, en un mot l’inoubliable manifestation de Paris et de la France.

Ce sont des spectacles qui ne se présentent qu’une fois dans le cours de dix siècles, parce qu’il ne surgit pas tous les mille ans un homme assez grand pendant sa vie, assez auguste après la mort pour les provoquer.

Et ils honorent autant le peuple qui les conçoit que la mémoire qu’ils contribuent à immortaliser.

Mais si, du haut de sa demeure dernière, le Grand Homme suivit le déroulement du cortège que formait tout un peuple ému, recueilli, vibrant, si son âme put encore être remuée par ces manifestations d’un amour que la mort