Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/156

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n’avait fait qu’épurer, certes, il dut remarquer, au milieu de la foule de ses fidèles, de ses anciens compagnons d’armes, de ces débris de la vieille armée, le colonel du 1er  régiment de la Garde.

Il était là, tout blanc, courbé, mais superbe sous son haut bonnet à poil : il portait l’uniforme qu’il avait à Waterloo ! Sur sa poitrine brillait, à l’effigie impériale, la croix payée de son sang dans vingt batailles ; il tenait fébrilement d’une main son sabre, trop lourd désormais, et de l’autre bras s’appuyait sur son Henri dont la brillante tenue de capitaine des spahis et le burnous rouge attiraient tous les regards.

Jean, placé du côté opposé, le soutenait quand il le voyait faiblir. Il portait lui-même, avec une grande distinction, l’uniforme sévère de capitaine d’artillerie.

Et je vous assure qu’il était touchant, et digne du pinceau d’un David ou d’un Delacroix, ce tableau d’un soldat, couronnant par cet effort suprême une vie d’honneur et de fatigues, prêt à partir pour rejoindre son Empereur, mais renaissant dans ces deux beaux jeunes gens qui soutenaient ses derniers pas.

Au milieu de ces uniformes variés, appartenant à toutes les armes et qui semblaient détachés du socle de la Colonne d’airain, fondue avec les canons ennemis, on se montrait ce père appuyé sur ses deux fils, et ceux qui les reconnaissaient disaient aux autres :

— C’est le colonel du 1er  régiment de grenadiers de la Garde, et ses deux fils sont les filleuls de Napoléon.

Marchant immédiatement derrière le char funèbre, le colonel Cardignac atteignit enfin les Invalides, et précédant, avec tous les vétérans de l’Empire, le cercueil porté à bras, il franchit la grille de la cour d’honneur.

Les soldats invalides formaient la haie ; tous ou presque tous étaient des mutilés des grandes guerres de l’Épopée, et leurs yeux flamboyèrent lorsque, sous le manteau bleu parsemé d’abeilles d’or, ils virent s’approcher la dépouille de leur Empereur. C’était à eux qu’on en confiait la garde, elle serait bien gardée.

Dans le cerveau de Jean Cardignac, parmi les idées qui tourbillonnaient, un souvenir se précisa. C’était là qu’il était venu, il y avait de cela près de quarante ans, pour faire la surprise à son vieil ami La Ramée de sa première épaulette.