Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/166

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une solidarité pleine et entière, qui subsiste sans défaillance, à tous les degrés de l’échelle sociale, et qui durera tant qu’il y aura un Prytanée — par suite des « Brutions ».

Je n’en puis parler par moi-même, ne connaissant la Flèche que par des amis qui me l’ont dépeinte ; mais tous s’accordent à affirmer que — toute rude que soit la discipline au Prytanée — ils gardent de cette école le meilleur des souvenirs. Peut-être même est-ce cette rudesse, tempérée par la paternelle intelligence des officiers, qui donne à la vie prytanéenne ce je ne sais quoi que ne possèdent pas les lycées et les collèges où le régime militaire est inconnu.

Tous, fils de soldats, vêtus, équipés uniformément, à la fois écoliers et militaires, ne sortant qu’aux vacances, vivent à l’ombre des grandioses bâtiments du collège fondé par Henri iv et d’où sont sortis Descartes et La Tour d’Auvergne ; ils y vivent comme les enfants d’une grande famille où tout est réglé sans passe-droit, ayant tous au cœur une idée et un but communs : entrer à Saint-Cyr, ou, en tout cas, au Régiment, s’ils échouent aux examens.

Les exercices violents, gymnastique, escrime, marches militaires, alternent avec les études scientifiques ; les élèves ne sortent de l’étude ou de la classe que pour redevenir, sous la surveillance des officiers ou des adjudants, de véritables soldats, qui manœuvrent, je vous l’assure, comme des vétérans.

Somme toute, le vieux colonel Cardignac avait vu juste en songeant au Prytanée pour Pierre Bertigny.

Il fallait en effet cette discipline de fer pour mater ce tempérament de fer.

Pierrot était donc venu en vacances à Tours, chez son protecteur Henri Cardignac ; et ce fut le capitaine de cuirassiers qui conduisit lui-même son pupille à La Flèche.

Mais, au moment de franchir la grande porte surchargée de sculptures, Pierrot s’arrêta.

Une révolte venait soudain de surgir dans son cœur ; et il contemplait la façade avec des yeux qui en disaient long.

— Eh bien ? Qu’est-ce qui te prend ? demanda Henri. Tu avais l’air si enchanté, ces jours derniers, d’enfiler une culotte rouge ?

— Oui, mon capitaine, seulement…

— Seulement quoi ?

— Je vais être enfermé, et puis… vous… vous allez vous en aller.