Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/255

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— Du courage, mes enfants, cria-t-il ; il faut vaincre ou périr ici !

— On en aura, mon général ! répondirent les zouaves.

Soudain, il poussa son cheval vers les turcos.

Pour ces fils du désert, une canonnade aussi épouvantable était une épreuve toute nouvelle.

Familiarisés avec les balles, ils ne l’étaient pas avec les lourdes sphères de fonte qui passaient en ronflant, et, pliant les épaules, ils saluaient, suivant le terme expressif du soldat.

— Eh quoi, leur cria le général, en les interpellant dans leur langue : la balle frappe-t-elle moins que le boulet ?

Bessah ! (c’est vrai) répondirent-ils en se redressant ; et désormais les têtes ne s’inclinèrent plus.

Maintenant les escadrons russes, heureusement très lents à manœuvrer, avaient fini leur déploiement.

Hussards et cosaques n’étaient plus qu’à huit cents mètres. Les sabres étincelaient au soleil ; mais ce qui impressionnait le plus les chasseurs d’Afrique, c’était l’aspect des deux sotnias de cosaques qui venaient de se ranger en bataille, à gauche de la ligne.

Les cosaques… La lugubre campagne de Russie et surtout les deux invasions de 1814 et 1815, les avaient fait connaître en France, et ils avaient laissé la réputation de demi-sauvages, couverts de peaux de bêtes, coiffés de hauts bonnets de fourrure et galopant, infatigables, au milieu des ruines et des incendies.

Mais ce qui troublait surtout nos cavaliers, c’était la vue de leurs longues lances qui allaient s’abaisser lorsque leurs chevaux prendraient le galop de charge.

Que faire avec un sabre de quatre-vingts centimètres, contre une arme de trois mètres de long ? Les chevaux allaient être abattus et les cavaliers traversés par le terrible fer, avant d’avoir pu porter un seul coup. C’est d’ailleurs l’invincible puissance de cette constatation qui a fait rétablir la lance dans nos régiments de dragons, il y a quelques années, mes enfants, et cela malgré les difficultés reconnues que présente le maniement de cette arme.

À cette heure tragique, le commandant Cardignac appela à lui tout son sang-froid.