Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/257

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Ils avaient quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent de ne se revoir ni l’un ni l’autre.

— Pierre, dit le brigadier à voix basse… dis-moi encore une fois que tu me pardonnes !

— De tout mon cœur, va… n’y pense plus !

— Merci !

Ils échangèrent un serrement de mains et ajustèrent autour de leurs poignets la dragonne de cuir, qui permet au cavalier de ne pas perdre son sabre, s’il est contraint de le lâcher à la suite d’un choc violent.

Sachez d’ailleurs, mes enfants, que la dragonne est, dans l’armée, l’insigne des combattants : les non-combattants ne la portent pas, ou du moins n’y ont pas droit.

La charge russe était partie : successivement les lignes de lances s’abaissèrent et les cavaliers slaves se penchèrent sur l’encolure de leurs chevaux.

À gauche, l’artillerie française commença le tir à mitraille, et un bataillon de la brigade de Lourmel, qui venait de prendre pied sur le plateau, se mit à tirer.

Le commandant Cardignac chaussa ses étriers, leva son sabre : et d’une voix forte :

— Pour charger !… En avant ! commanda-t-il.

Et, de la pointe de son arme, montrant la direction, il se lança obliquement sur l’aile gauche de la ligne ennemie.

Le parti qu’il avait choisi était le seul possible ; mais la disproportion des forces était trop considérable, et si la charge ennemie n’était pas brisée avant la rencontre, c’était à la mort que couraient les chasseurs d’Afrique.

Or, brisée, la charge russe allait l’être, et par une intervention à laquelle nul ne songeait plus.

Les escadrons ennemis n’étaient plus qu’à quatre cents mètres, lorsqu’une véritable trombe de fer, des bombes de vingt-deux centimètres, des obus de douze, éclatèrent au milieu des rangs, broyant montures et cavaliers ; des chevaux se cabrèrent et firent demi-tour, des vides se creusèrent, la muraille vivante se rompit en dix endroits, et une deuxième avalanche de projectiles, arrivant au milieu des cosaques, en jeta la moitié par terre.

Tels étaient l’imprévu et la justesse de cette canonnade, que la ligne