Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/261

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fonça sur lui, et le choc en muraille fut remplacé par une série de combats individuels.

Cependant Pierre, dont la préoccupation avait été jusqu’à présent de ne pas perdre de vue le commandant Cardignac, pour le secourir en cas de danger, venait d’aviser un officier de hussards russe, portant en travers de sa selle une espèce de large écharpe de soie jaune, qu’il semblait chercher à dissimuler.

— Delnoue ! s’écria-t-il, en le lui montrant du sabre, leur étendard !… voilà leur étendard !… À nous deux !

Et éperonnant leurs chevaux, ils bondirent sur le porteur de l’emblème sacré.

L’officier ennemi, se sentant pressé, obliqua vers la gauche, et, pendant quelques minutes, la poursuite continua, ardente, sans que, poursuivants et poursuivis, s’aperçussent qu’ils s’éloignaient du champ de bataille.

Tout à coup le cheval de l’officier russe butta dans le tronc d’un sapin, qu’un boulet perdu avait jeté bas, et s’abattit avec son cavalier. Déjà, Delnoue était sur lui :

— Rends-toi, lui cria-t-il en essayant de lui arracher l’étendard, sur le fond jaune duquel on distinguait un aigle noir à deux têtes.

Mais le Russe, un vieil officier à la moustache grise et hérissée, au regard noir, à la poitrine constellée de médailles, avait déjà vidé les étriers et se retrouvait debout.

Prompt comme l’éclair, il saisit un pistolet dans l’une des fontes de sa selle.

— Rends-toi, cria à son tour Pierre Bertigny ; car l’un et l’autre, Pierre surtout, qui arrivait par derrière, hésitaient à frapper ce vétéran à la mine hautaine, désarçonné et presque à leur merci.

Et puis quelle gloire, si, en rapportant l’étendard, ils ramenaient prisonnier l’officier d’élite qui le portait !

À cette deuxième sommation, le Russe se retourna ; il vit Pierre, le sabre haut, et l’ajusta ; mais d’un revers de main, Delnoue détourna son bras.

Une détonation retentit et ce fut lui qui reçut le coup destiné à son ami. Frappé en pleine poitrine, il oscilla sur sa selle, étendit les bras et roula sur le sol.

Pierre poussa un cri de douleur et de rage :