Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/296

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incessant de la place, et pousser des pointes vers les avant-postes, pour éviter des surprises comme celle d’Inkermann.

Il fallait enfin lutter contre le scorbut et la dysenterie, ces deux fléaux de l’hiver.

Le général Canrobert para à tout ; s’occupant sans cesse du bien-être du soldat, il était adoré de l’armée, et lorsque, sur la demande de l’Empereur, il résigna son commandement entre les mains du général Pélissier, plus apte à la conduite du siège, il le fit avec une abnégation qui emporta l’admiration générale : sans récriminer, noblement, simplement, il reprit le commandement de son ancienne division.

Cette armée, qu’il léguait au futur duc de Malakoff et qui venait de traverser les plus rudes épreuves, on peut dire qu’elle était alors la première armée du monde : elle seule, ou presque seule, allait d’ailleurs supporter le poids du siège. En effet, les Anglais voyaient leurs effectifs fondre à vue d’œil ; les Italiens n’arrivèrent que pour assister à la victoire finale, et, quant aux Turcs, pour lesquels tout le monde se battait, ils ne faisaient rien.

Or, je vous le demande encore, mes enfants, et cette question je vous la poserai encore après la campagne d’Italie : il n’y a pas cinquante ans de tout cela, notre armée était, je le répète, la première armée du monde par le courage, l’endurance et les vertus guerrières. Comment, en moins d’un siècle, serait-elle déchue comme le proclament les sans-patrie qu’elle gêne, et tous ceux dont jouir est l’unique but ?

Nous sommes les fils des combattants de Sébastopol et de Solférino et vous en êtes les petits-fils ! Suffit-il donc de deux générations pour qu’un peuple meure ?

Non, mes enfants, mille fois non ! Si l’armée est silencieuse par devoir, elle est toujours forte, vaillante et prête à tous les sacrifices ; vienne l’heure du danger, elle le prouvera.

Le Tsar Nicolas venait de mourir, mais son successeur, Alexandre ii, avait donné à son armée, maintenant commandée par le prince Gortchakoff, la même consigne qu’à son prédécesseur : elle devrait lutter, suivant l’énergique expression russe, « jusqu’au manche du couteau ».

Quant au général Pélissier, « la tête de fer-blanc », comme l’appelaient ses soldats, il allait riposter aux résolutions des Russes par des actes vigoureux.