Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/351

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de cet instant, fugitif comme l’éclair, la pointe de notre ami passa et disparut dans la poitrine qui s’offrait.

Battant l’air des deux bras, le colosse lâcha son arme et s’affaissa dans les bras de ses témoins.

Le colonel Brignone s’avança alors vers Pierre :

— Mon jeune ami, lui dit-il, si vous m’en croyez, vous allez quitter Milan au plus tôt ; car, bien que le duel ait eu lieu dans toutes les règles, la police autrichienne sera chez vous dans une heure ; je la connais.

Et se tournant vers le fils du capitaine Renucci :

— Vous aussi, mon cher Francesco, ajouta-t-il, vous ferez bien de disparaître quelque temps… Ce sera prudent : malgré votre jeune âge, vous êtes suspect et les prisons de Milan sont déjà remplies de patriotes qui n’en ont pas tant fait… Donc, partez tous deux ; moi, je reste ici pour les formalités à remplir.

— Croyez-vous qu’il soit sérieusement touché, demanda Pierre dont la nature généreuse reprenait le dessus.

— Sérieusement oui, car il a au moins dix centimètres de fer dans la poitrine et vous y êtes allé franchement ; mais c’est le côté droit qui est traversé, le cœur doit être indemne, et on revient souvent d’un poumon perforé. D’ailleurs, partez sans remords ; si le gaillard eût pu vous toucher la tête, vous auriez à cette heure le crâne fendu jusqu’au menton.

Quand ils furent de retour à la maison, Francesco qui jusque-là s’était contenu, sauta au cou de Pierre Bertigny.

— Oh ! fit-il, laissez-moi vous embrasser ; que c’est beau d’être brave, d’être soldat… d’être Français !

Mais ce qui paya Pierre au centuple, ce fut l’accueil de Mme  Renucci et de la brune Margarita ; les deux pauvres femmes oubliaient leur deuil pour féliciter leur hôte, et Pierre frémit lorsque la jeune fille le remercia d’une voix qui lui parut la plus suave des musiques.

Mais Francesco rappela à son ami la recommandation du colonel Brignone et se tournant vers sa mère :

— Que dirais-tu, fit-il, si j’accompagnais M. Bertigny ?

— Je t’approuverais, mon enfant, puisque le colonel prétend qu’une arrestation te menace ici : tu n’es plus un enfant et la police autrichienne ne te ménagerait pas.