Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/377

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À son tour, Jean Cardignac examina « la blessure d’Yvonne » et hocha la tête : le Breton avait raison, cette large bavure de bronze refoulé ne pouvait être enlevée qu’à la lime, et ce n’était pas là, au milieu des projectiles arrivant par douzaines, qu’il était possible d’exécuter ce travail de patience.

Le colonel allait donc donner l’ordre au commandant de la batterie de faire ramener cette pièce en arrière, lorsqu’une inspiration lui vint :

— Est-ce que la pièce serait chargée, par hasard ? demanda-t-il à Mahurec.

— Eh oui, mon colonel, nous allions lâcher le coup quand ce maudit boulet est arrivé.

— Eh bien, alors, le mal va être réparé instantanément : lâche-le maintenant, ton coup.

— Comment ? vous croyez…

— Tire, te dis-je : ton obus en passant rasera le bourrelet et fera office de lime.

Le visage du Breton s’éclaira :

— C’est ma foi vrai ! s’écria-t-il en reprenant son poste de commandement.

Et d’une voix de stentor.

— Pièce… feu ! s’écria-t-il.

Le canonnier hésitait.

— Feu sur tout ce que tu voudras ! répéta Mahurec ; tu ne comprends donc rien, s’pèce d’emplâtre ?

Et quand, le coup parti, il examina « la denture » d’Yvonne — il appelait ainsi l’extrémité en dents de scie des rayures, — il constata qu’en effet, le projectile en passant avait rasé net le malencontreux bourrelet.

Le calibre était redevenu normal, on pouvait recharger : la pièce était seulement « égueulée », suivant l’expression des artilleurs, et son « astragale » légèrement aplati. Mais ce n’était là qu’une déformation sans influence sur le tir et le Breton se remit vigoureusement en action.

— La « fluxion » d’Yvonne n’a pas duré longtemps, racontait-il le soir même, sous la tente, aux artilleurs de sa batterie : c’est l’obus qui a remplacé le dentiste.

À quelques kilomètres de là, Pierre Bertigny échangeait quelques coups